Distillerie des Menhirs : un whisky breton au caractère singulier
A Plomelin, entre Quimper et l’océan, la Distillerie des Menhirs s’inscrit dans un paysage où tout raconte quelque chose. Les pommiers, le petit ruisseau, les pierres dressées… on sent que le lieu a vécu avant l’homme et qu’il continuera après. Les Le Lay y travaillent depuis plus d’un siècle. Une famille soudée, attachée à sa terre, qui a toujours cherché à faire mieux sans perdre l’essentiel.
L’histoire débute avec un alambic ambulant acheté en 1921. On transformait le cidre en eau-de-vie chez les voisins, avec un savoir-faire transmis dans les gestes. Le lambig devient rapidement une spécialité locale. Plomelin pouvait carrément se vanter d’être une capitale bretonne de la distillation. Puis l’époque change. Les réglementations aussi. Pourtant la famille s’accroche.
Une nouvelle ambition dans les années 80
1986 marque un tournant. Guy Le Lay quitte la salle de cours pour reprendre le flambeau. Il redonne vie au Pommeau. Il met en valeur le lambig. Le succès encourage des idées plus ambitieuses. Faire un whisky breton qui reflète son territoire. Pas une imitation écossaise. Pas une copie de ce qui existe déjà.
C’est là qu’entre en scène le blé noir, le fameux sarrasin des galettes bretonnes. Une céréale modeste en apparence, mais dotée d’un parfum et d’une matière hors du commun. Sa culture ne rapporte pas beaucoup, sa transformation est exigeante. Pourtant, Guy y croit. Il se met au travail dans sa cuisine, teste, ajuste, recommence. L’obstination finit par payer.
En 2002, EDDU voit le jour. Premier whisky au blé noir au monde. Une première qui attire l’attention partout en France, puis au-delà. Le nom n’a pas été choisi au hasard : « eddu » signifie justement blé noir en breton. Une manière simple de revendiquer ce qui fait la différence.
Une signature bretonne dans le verre
Le caractère d’EDDU vient d’abord de sa matière. Le blé noir ne donne pas le même alcool que l’orge. Le profil est plus floral, plus rond, avec des notes de fruits blancs ou jaunes, parfois une sensation de noix fraîche. Une texture presque pulpeuse. Une chaleur qui reste douce.
Ensuite, le style de distillation a son importance. On chauffe à feu nu, une méthode traditionnelle qui exige une main experte. Les alambics charentais donnent du corps au distillat, un cœur aromatique généreux. La double distillation permet de garder ce relief sans perdre la finesse.
L’élevage apporte sa touche finale. Chêne du Cognac pour la structure, bois breton pour le caractère, quelques fûts issus du vignoble français pour apporter une autre lecture du fruit. Tout se fait sur place. Pas de course à la production. Un travail patient, soigné.
Ce que j’ai dégusté : cinq expressions représentatives
J’ai eu l’occasion de me faire une belle idée de la gamme. Voici celles qui m’ont permis de mieux comprendre la personnalité d’EDDU.
EDDU 10 ans
Un whisky qui a clairement trouvé son point d’équilibre. Le temps en fût lui apporte un joli relief sans jamais écraser le blé noir. On sent d’abord une chaleur florale, puis arrivent des fruits confits et quelques épices douces. La bouche est ample, avec une douceur qui s’installe progressivement et un boisé bien placé pour la structure. La finale se prolonge longuement, savoureuse, avec un petit retour épicé qui signe la personnalité de cette cuvée. Très agréable.
Carnets de Voyage – Escale en Bordelais
Une parenthèse bordelaise qui élargit l’expression du blé noir. Le vieillissement en fûts de Saint-Émilion apporte un fruit noir juteux, un boisé délicat et une petite touche vanillée très séduisante. La bouche est ample, avec un léger grain tannique qui rappelle le vin rouge, puis une fraîcheur qui revient sur la prune et la datte. La finale garde ce souffle vif, presque mentholé, qui relance l’envie d’une gorgée de plus. Une cuvée qui parle autant au whisky qu’au vin.
Dorn Ha Dorn
Une cuvée qui mise clairement sur la gourmandise. Le fruit domine dès le nez, avec de la pomme, de la poire et une pointe de confiture rouge qui met l’eau à la bouche. En bouche, la fraîcheur du blé noir rencontre une belle richesse : miel, amande, fruits confits, un zeste d’orange sanguine pour l’éclat. L’ensemble reste fluide et franc, sans exubérance. La finale s’étire doucement, agréable, avec cette impression de générosité qui donne tout son charme à cette expression.
Eddu 12 ans – Single Cask
Une expression plus posée, plus raffinée. On découvre un fruité généreux qui évoque clairement le Cognac : pomme, raisin, prune, avec une pointe florale très élégante. La bouche est tonique, ample, où les fruits jaunes côtoient une touche d’amande et un soupçon d’épices. Le boisé apporte de la tenue sans jamais durcir. La finale se prolonge sur la frangipane et une légère amertume orangée qui ajoute beaucoup de distinction. Un single cask racé, qui montre une autre facette du blé noir.
EDDU Tourbé
Une interprétation fumée du blé noir qui reste fidèle à la maison. Le nez s’ouvre d’abord sur des fleurs et des fruits blancs avant que la tourbe n’apparaisse, plus chocolatée que marine, avec une petite touche cendrée. La bouche est gourmande, presque huileuse, où la fumée accompagne la poire et le litchi sans jamais les écraser. La finale s’étire longuement, avec un côté végétal et une tourbe douce qui vient enrichir le profil plutôt que le dominer. Une belle extension de l’univers EDDU.
Une vision cohérente depuis le début
Ce qui frappe avec la Distillerie des Menhirs, c’est la constance. Les cuvées affichent un fil conducteur clair. Une volonté de faire vrai. On sent le travail artisanal, le lien familial, la confiance dans une matière première locale qui fait toute la différence.
Pour les amateurs qui cherchent autre chose que les standards habituels, EDDU apporte une alternative sérieuse. Pas une excentricité. Une identité solide, assumée, avec une vraie qualité dans le verre.
Ce whisky raconte sa terre. Et cette histoire mérite d’être goûtée.

