On parle souvent de terroir pour le vin. Beaucoup moins pour le whisky. Et pourtant… À Rozelieures, en Lorraine, cette notion n’est pas un concept marketing mais une réalité agricole, concrète, presque évidente. Ici, on cultive l’orge, on la malte, on la distille et on la fait vieillir sur place. Du champ au verre, sans raccourci. Une approche rare, qui donne naissance à des whiskies profondément identitaires, à commencer par l’Origine Collection et une gamme parcellaire aussi passionnante qu’instructive.
Rozelieures, une distillerie à part dans le paysage français
Rozelieures, c’est d’abord une histoire de famille et de territoire. Installée au cœur de la Lorraine, la distillerie est portée par Christophe et Sabine Dupic, héritiers d’un savoir-faire agricole ancien. Ici, on est agriculteur depuis le XIXe siècle avant d’être distillateur. Et ça change tout.
Là où beaucoup de maisons achètent leur malt, Rozelieures cultive sa propre orge, la malte dans sa malterie, la brasse, la distille, puis élève ses whiskies dans ses chais. Une maîtrise complète de la chaîne de production, extrêmement rare à l’échelle mondiale. Il faut bien le dire, peu de distilleries peuvent en dire autant.
Cette autonomie va même plus loin, avec une unité de méthanisation qui permet à la distillerie de tendre vers une autonomie énergétique. Une cohérence globale, qui se ressent jusque dans le verre.
Du champ à la bouteille : une philosophie agricole assumée
À Rozelieures, l’orge n’est pas une matière première anonyme. C’est une culture observée, suivie, comprise. Chaque parcelle a son histoire, son exposition, son sol, son comportement face à l’eau ou à la chaleur.
Cette approche très agricole explique en grande partie la singularité des whiskies de la maison. On ne cherche pas à lisser les profils, ni à masquer les différences. Au contraire. L’idée est de laisser parler la céréale, puis de l’accompagner avec un élevage mesuré, souvent en fûts de chêne français.
C’est dans cette logique qu’est née la gamme parcellaire. Et franchement, c’est tout ce que j’aime.
La gamme parcellaire : quand le sol fait le whisky
La gamme parcellaire de Rozelieures pousse l’exercice très loin. Le principe est simple sur le papier, beaucoup plus complexe dans la réalité : moissonner l’orge parcelle par parcelle, la malter séparément, puis la distiller et la faire vieillir selon un protocole identique. Seul le sol change.
Le résultat est saisissant. Trois whiskies, un même vieillissement, et pourtant trois expressions bien distinctes. Le tripack parcellaires permet de comparer ces profils côte à côte, verre après verre.
Trois parcelles, trois identités
Blanches Terres provient d’un sol limoneux, enrichi par les crues de la rivière Euron. L’orge y est vigoureuse, équilibrée. Le whisky se montre frais, élégant, avec une belle rondeur et des notes herbacées délicates.
La Sous-Dicque repose sur un sol argileux, lourd, qui retient fortement l’humidité. Le whisky gagne en caractère, avec une trame plus épicée, des notes de céréales marquées et une gourmandise presque confite.
Rouge Côte, enfin, s’exprime sur un sol argilo-calcaire exposé plein sud. Le nez est très céréales, avec des notes de pomme fraîche. En bouche, on retrouve de la poire mûre, de la figue sèche, une touche biscuitée, et une finale minérale qui prolonge le plaisir.
Goûter ces trois whiskies l’un après l’autre est une vraie claque pédagogique. On comprend instantanément ce que le sol apporte, sans discours, sans théorie. Juste par la dégustation.
Origine Collection, l’ADN de Rozelieures dans le verre
Si la gamme parcellaire explore, l’Origine Collection raconte l’identité de la maison. C’est le premier whisky de la distillerie, celui qui pose les bases du style Rozelieures.
Assemblage de malts doublement distillés, très légèrement tourbés, vieilli en fûts de xérès, de cognac et de bourbon, ce whisky assume une gourmandise généreuse, avec un vrai gras en bouche. Je dois avouer que c’est un profil dans lequel je me sens immédiatement à l’aise.
Dégustation de l’Origine Collection
Au nez, les fruits dominent. La poire arrive en tête, puis viennent les fruits à coque, une pointe de malt et une fumée très discrète. Rien d’agressif, tout est fondu.
En bouche, c’est onctueux, presque crémeux. La vanille ouvre le bal, suivie par des fruits mûrs aux accents confits. Le whisky tapisse le palais sans jamais lasser.
La finale est longue, marquée par une légère fumée et des épices douces. Un goût de reviens-y, clairement. Un whisky accessible, mais loin d’être simpliste.
Une vision du whisky profondément française
Ce qui frappe chez Rozelieures, c’est cette transposition naturelle des codes du vin vers le whisky. Le sol, la parcelle, la matière première, le temps long. Rien n’est précipité.
La distillerie ne cherche pas à copier un modèle écossais. Elle trace sa propre voie, enracinée dans son territoire. Une approche qui parle forcément aux amateurs de vin, mais qui séduit aussi les curieux et les passionnés de spiritueux.
Entre l’Origine Collection, qui incarne l’âme de la maison, et la gamme parcellaire, véritable laboratoire du terroir, Rozelieures propose une lecture du whisky à la fois pédagogique et profondément sensorielle.
Un whisky qui se comprend, mais surtout qui se déguste. Et ça, au fond, c’est bien l’essentiel.